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Pour l’agriculture citoyenne, l’écologie n’est pas qu’une question environnementale

Une agriculture… bio, durable, paysanne ? Parfois réduits à l’agriculture biologique, les modèles agricoles dans lesquels s’inscrit le Pôle InPact sont plus divers que ce seul label et dessinent une vision complexe de l’écologie. Version brève d’un texte paru en janvier 2023, édité et publié par Transrural Initiatives dans son n° 497.

Chaque structure du pôle d’Initiatives pour une agriculture citoyenne et territoriale (InPact), réseau créé il y a vingt ans et réunissant dix organisations de tailles et de statuts divers, a un angle particulier pour envisager la question de l’écologie en agriculture. Les unes se reconnaissent dans l’agriculture durable, les autres dans l’agriculture paysanne ou l’agroécologie, pendant que beaucoup de leurs membres sont labellisé·es en agriculture biologique.
Autant que le vocabulaire pour décrire les pratiques et les valeurs qui les sous-tendent, les enjeux écologiques sont divers en agriculture : protéger la qualité de l’eau, de l’air, la vie des sols et la diversité biologique sauvage ou cultivée, la santé humaine (celle des riverain·es et des mangeur·ses comme celle des travailleuses et travailleurs du secteur), produire à faible coût énergétique, limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Bien-être animal

Aujourd’hui, la question animale intéresse beaucoup le public, les philosophes et surtout les éleveurs. Goulven Le Bahers, longtemps animateur au Réseau Civam [1], témoigne de la variété des approches : « Les Civam de l’Ouest prônent des systèmes herbagers super performants d’un point de vue environnemental grâce à des prairies de longue durée qui sont semées et inscrites dans un système de culture. Ailleurs, des groupes comme le Civam Empreinte dans l’Hérault se demandent comment faire pâturer des espaces semi-naturels en s’assurant que le troupeau et le milieu s’adaptent mutuellement. Ils commencent à réfléchir à des approches de remise en cause de la notion de nature et de redéfinition des liens inter-espèces. »

La question du bien-être animal fait l’objet d’approches très diverses au sein des membres d’InPact.
Crédit : Terre de liens

Freddy Le Saux prend la question d’un point de vue énergétique. Cet administrateur du Pôle InPact, est aussi ancien président de Terre de liens [2]. « Élever des animaux qui valorisent l’herbe qu’on ne peut pas manger, c’est une valorisation énergétique. On peut faire la moitié de la viande actuelle sans rien prendre sur l’alimentation humaine. Être végan, ou au contraire transformer en viande de la nourriture consommable par les humains, c’est du gaspillage. »

Énergie et climat

Les questions énergétique et climatique sont aujourd’hui sur le devant de la scène. L’agriculture est le deuxième poste des émissions françaises de gaz à effet de serre, soit 19 % du total. En amont des émissions, Freddy note la forte dépendance au pétrole de notre type d’agriculture. Et le changement climatique est déjà là, qui affecte les récoltes. Agathe Macke est administratrice du Pôle InPact pour l’InterAfocg, tête de réseau des associations de formation collective à la gestion (Afocg). Cette éleveuse de brebis viande en Haute-Garonne est déjà fortement touchée par le changement climatique. « Je vais planter des arbres sur mes prairies qui, bien qu’on soit en bio et qu’on ne travaille pas le sol, se dégradent à cause des sécheresses et des pluies trop fortes. On choisira des arbres pour réintroduire de l’humidité, nourrir le sol et les bêtes, et leur apporter de l’ombre. » Ces stratégies écologiques d’adaptation sont étudiées et diffusées depuis des années par le réseau InPact.

L’agriculture est le deuxième poste des émissions françaises de gaz à effet de serre, soit 19 % du total, réparties à égale mesure entre le méthane dû aux activités d’élevage (fermentation entérique et gestion des déjections) et le protoxyde d’azote émis par les cultures (fertilisation minérale et organique), et dans une moindre mesure le CO2 lié à la consommation d’énergie des engins agricoles.
Crédit : Terre de liens

Quand les discours dominants misent sur plus de génétique, de robotique et de numérique pour répondre aux enjeux écologiques, InPact défend plus que jamais l’agriculture paysanne. Pour Emmanuel Aze, arboriculteur dans le Lot-et-Garonne et sociétaire de l’Atelier paysan [3] : « Plus la concentration capitalistique sur les fermes est importante – notamment via les agroéquipements, la robotique, tout ça qui coûte extrêmement cher – plus il est difficile de changer de production, d’être dans une logique d’adaptation. Le solutionnisme technologique se substitue aux choix des paysans. »

Pratiques pour une agriculture autonome

La question écologique est souvent comprise par les différents membres du Pôle InPact comme une affaire d’autonomie. Jean-Marie Lusson, du Réseau Civam, résume l’approche de l’agriculture durable : « On essaie, dans tous les contextes écologiques, de parvenir à une agriculture qui est l’expression des ressources présentes sur de la ferme et emploie de moins en moins d’intrants venant de l’extérieur. » Denis Lépicier, agronome et économiste, co-président du Réseau Civam, poursuit : « C’est plus complexe qu’une production spécialisée avec de la chimie. Il faudra réintroduire de la diversité de productions, céréales avec élevage et maraîchage. Cette dé-spécialisation est en cours, on a réintroduit du maraîchage là où il avait disparu, comme en Bourgogne où les céréales s’étaient imposées comme plus rémunératrices. »

Romuald Botte, maraîcher en AMAP [4] près de Lille et sociétaire de l’Atelier paysan, « essaie de ne pas avoir de mono-activité mais une multitude d’ateliers qui se complètent. Si un atelier génère un déchet, celui-ci doit devenir une matière première pour un autre ». Il a ainsi commencé à élever des poules pour ne plus dépendre des engrais organiques issus d’élevages intensifs acceptés en bio.

L’Atelier paysan, une coopérative d’autoconstruction de matériel agricole (ici, un chariot porte-tout), mène depuis plusieurs années une réflexion sur la souveraineté technologique en agriculture.
Crédit : L’Atelier paysan

La Fadear [5] a quant à elle développé un outil d’accompagnement, le diagnostic agriculture paysanne, dans lequel l’autonomie (décisionnelle, économique et financière, et technique) est une notion forte.

Pour Solidarité Paysans [6], le point de départ est plutôt économique. Jean-Marie Lebrun, décédé en 2022, était lors de notre entretien président d’Arcade, l’association membre de Solidarité paysans qui opère dans le Nord-Pas-de-Calais. « La majorité des appels qu’on a, c’est des gens qui sont dans le système conventionnel classique, assez investisseur, parfois trop. On ne peut pas arriver en leur disant : "On va faire de l’écologie, ça va aller mieux." On regarde ce qu’on peut faire à moindre coût. Des fois c’est remettre des légumineuses plutôt que des engrais azotés, ou moins de maïs et plus d’herbe. Les gens se rendent comptent qu’il y a trop de dépenses d’intrants ou de matériel. Des gens ont un robot de traite mais pas de quoi le réparer. Dès qu’il y a le mot écologie, il y a des freins, c’est de la paperasse, c’est les Verts. Mais dans l’accompagnement, on fait de l’écologie sans le savoir. »

Solidarité Paysans a compilé son expérience sur la question dans un épais dossier paru fin 2020,« Agroécologie : accompagner des changements de pratiques agricoles. Ou comment des pratiques plus autonomes et économes peuvent favoriser le redressement de son exploitation ».

Même angle dans les Afocg. Pour Isabelle Hagel, chargée de mission à l’InterAfocg, « on accompagne à la réflexion sur le climat sans prôner de méthodes particulières. On pousse au questionnement, à la formulation de problématiques, d’hypothèses ou propositions d’actions à travers les échanges entre pairs… pour leur donner les moyens d’être autonomes sur leur choix, sans jugement » .

Inclure les citoyen·nes

À Nature & Progrès, pionnière de l’agriculture bio à sa création en 1964, une mention encadre les pratiques agroécologiques des producteurs – paysan·nes et transformateurs. Et les non-professionnel·les, comme Anne Mariot, bénévole dans l’association, sont associé·es au processus de gestion de la mention dans un « système participatif de garantie » (SPG).

Florent Sebban, administrateur du Mouvement interrégional des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Miramap) et maraîcher en AMAP en Île de France, parle volontiers d’« agriculture citoyenne » : « Les amapiens attendent qu’on se passe des OGM en légumes, bien sûr, mais aussi des semences hybrides ? On en discute avec eux, on leur propose d’avoir un peu moins dans leurs paniers parce que ce ne doit pas être aux fermes de payer en temps de travail pour avoir la même quantité que si on utilisait un hybride plus productif. On les met en situation de responsabilité pour décider avec eux. »

La commission agriculture du MRJC [7] est l’un de ces lieux où des jeunes, paysan·nes en devenir ou installé·es, issu·es du milieu agricole ou non, se retrouvent pour comprendre et interroger les évolutions du monde agricole. Pour Étienne Martin, par ailleurs animateur à la Confédération paysanne, « beaucoup de gens connaissent l’agriculture mais l’enjeu est de comprendre son rôle social, écologique, politique. Elle façonne le paysage et le milieu, son économie. Dans le modèle majoritaire, on vous nourrit et c’est tout, on évacue les autres questions. L’agriculture appartient aux agriculteurs et on a laissé de côté les citoyen·nes, qui se sont "désapproprié" l’agriculture ». Assiste-t-on à un regain d’intérêt de la part des mangeuses et des mangeurs ?

La transition écologique doit impliquer l’ensemble de la société, selon Freddy Le Saux, de Terre de liens : « Si tu ne veux faire que du bio sans changer de régime alimentaire, on n’a pas assez de terres en France. Si tu baisses la consommation de viande et de produits laitiers, tu libères 11 millions d’hectares sur les 28 [de surface agricole utile française] pour produire autre chose que de la nourriture, des fibres, du bois, de l’énergie pour la ferme. C’est à la société de prendre ce virage. »

Une écologie humaine… et sociale

L’écologie à InPact, c’est aussi une question d’humain et de rapports sociaux. La charte de Nature & Progrès exprime selon Anne Mariot les valeurs d’« une écologie agricole et humaine » : « La mention concerne la ferme en entier, non seulement les pratiques agricoles mais aussi les pratiques environnementales, le social, l’origine des matières premières et le respect du paysan et de la vie, son économie. »

Christiane Aymonier est éleveuse et productrice de comté en retraite, membre d’InPact Jura et d’Accueil paysan [8]. Cette association ne réduit pas le métier d’agriculteur pas à sa fonction économique de production, mais prend en compte ses fonctions sociales, environnementales, patrimoniales, culturelles et politiques. Comme beaucoup à Accueil paysan, Christiane a « envie de faire une agriculture qui ait le sens du bien-être, du respect des personnes et du vivant ». Elle produit en bio mais est engagée dans une fruitière (une coopérative locale de comté) qui n’est pas labellisée car elle souhaite soutenir cette forme d’organisation typique de la Franche-Comté, qui assure mieux que dans d’autres régions l’emploi [9], le revenu des éleveurs, la qualité des produits et le mieux-disant écologique de la production comme « l’obligation de pâturage pour les bêtes et une limitation de la charge de bêtes par hectare ». Beaucoup de fruitières autour d’elle vont plus loin, passent en bio et des producteur·rices « se posent la question de libérer un peu d’espace pour permettre l’installation d’autres [paysan·nes] pour faire autre chose que du lait à comté », du maraîchage et des petits fruits notamment.

Florent Sebban, du Miramap, pose frontalement la question sociale. Il est labellisé bio mais ne se satisfait pas des seuls critères environnementaux et de l’absence de réflexion à ce sujet : « Je pourrais avoir de la main d’œuvre illégale. Sur l’égalité femmes-hommes, il n’y a rien. Partir de l’idée que l’être humain est une charge… ce système comptable pousse à vouloir la réduire. »

Place des femmes

Clotilde Bato est déléguée générale de SOL, Alternatives agroécologiques et solidaires [10] : « Promouvoir l’autonomie paysanne, c’est également valoriser le rôle des femmes dans l’agriculture. La conquête de leur autonomie implique un égal accès aux ressources productives (foncier, prêts bancaires, etc.), un accompagnement au développement d’activités (agricoles, commerciales) et de leur accès aux revenus générés qui favorisent leur émancipation, ainsi que leur participation aux débats et aux décisions qui concernent la production agricole ou la vie de la communauté. » Actrices minorisées du monde agricole en France, où elles représentent un tiers des personnes actives, les femmes sont parfois celles par qui passe le changement, selon les enseignements tirés de plusieurs études menées par des membres d’InPact, dont le Réseau Civam et l’Atelier paysan.

Six millions de paysan·nes

Alors que l’agriculture paysanne et l’écologie en agriculture sont souvent présentées comme un retour à la bougie, associées à la pénibilité, à un sort considéré comme peu enviable, Jean-Claude Balbot éleveur retraité en Bretagne, ancien administrateur d’InPact et membre de l’Atelier paysan, dresse un bilan critique de la modernisation agricole, celle-là même qui a contribué à éroder le nombre de fermes [11] : « Des collègues qui sont arrivés avec moi, qui ont bossé soixante-dix heures par semaine pour gagner mille balles par mois et sont tombés en route, j’en ai vu. Tu vas chez les paysans avec leurs fermes de trois cents hectares, tu regardes leurs comptes et la moitié ne gagnent pas leur croûte. » Avec la volonté de sortir de cette impasse humaine, sociale et écologique, l’Atelier paysan a évalué le nombre de paysan·nes nécessaires pour assurer la souveraineté alimentaire de la France en agroécologie paysanne, dans un monde où l’énergie sera moins abondante : «  Le slogan de la Confédération paysanne dit un million, le calculateur de Terre de liens [Parcel] donne un million et demi. En Andhra Pradesh [un État indien de 55 millions d’habitant·es], le gouvernement met en place une politique publique alimentaire sans machines ni pesticides. On regarde leurs évaluations, il leur faut cinq millions de paysan·es. Rapporté à la France c’est six ! »

Anticapitalisme

Avec ces ambitions, les choix contraints des un·es et des autres au moment de faire leurs courses peuvent soutenir des alternatives dispersées mais pas impulser une transformation radicale de l’agriculture et de l’alimentation. Pour Denis Lépicier, du Réseau Civam : « Il faut réafficher les coûts cachés du modèle dominant et les faire supporter par ceux qui en sont responsables. Ce sont très majoritairement les plus riches qui en profitent. Leur réintégration réintroduira de la justice sociale. »

L’agriculture au pôle InPact n’est pas qu’un sujet technique, pas plus que l’écologie n’a vocation à n’être qu’un domaine du savoir scientifique. C’est aussi un champ traversé de rapports de force, où s’expriment des valeurs, qui s’inscrit dans un projet de société. Les positionnements divergent, d’une structure à l’autre et entre personnes. Même si les engagements partisans ne s’expriment pas au sein de l’association, les engagement politiques sont forts et témoignent parfois d’une impossible réforme de l’agriculture sans un changement politique d’envergure. C’est ainsi que le conçoit Cédric Letourneur, ancien secrétaire général du MRJC : « Toutes ces luttes écologistes dans lesquelles s’insèrent les questions agricoles ne peuvent pas se mener sans une lutte contre le capitalisme. »

Pôle InPact, rédaction Aude Vidal


[1Un réseau de groupes d’agricultrices et d’agriculteurs, qui a fêté en 2022 ses 60 ans.

[2Un réseau associatif qui mobilise le public autour des questions foncières et accompagne les paysan·nes pour leur accès à la terre.

[3Une coopérative d’autoconstruction de matériel agricole qui mène depuis plusieurs années une réflexion sur la souveraineté technologique en agriculture.

[4Association pour le maintien d’une agriculture paysanne, qui réunit un ou des producteur·rices et des mangeur·ses s’engageant à acheter ses produits.

[5Fédération associative pour le développement de l’emploi agricole et rural, association proche de la Confédération paysanne qui s’occupe de formation, d’accompagnement à l’installation-transmission et de transition vers l’agriculture paysanne.

[6Mouvement de lutte contre l’exclusion en milieu rural qui défend, accompagne et soutient les agriculteur·rices en difficulté.

[7Mouvement rural de jeunesse chrétienne, héritier de la Jeunesse agricole chrétienne qui accompagna la modernisation de l’agriculture dans les années 1950 et 1960.

[8Cette association rassemble des paysan·nes-accueillant·es-aménageurs qui produisent en agriculture paysanne et font de l’accueil touristique, social ou éducatif, avec des valeurs bien ancrées d’accessibilité et de solidarité.

[9En comté on compte un emploi pour un million de litres de lait produit, alors que dans la filière lait industrielle c’est un emploi pour dix millions (précision de Christiane Aymonier).

[10Organisation de solidarité internationale qui opère également en France et a pour objectif la satisfaction des besoins essentiels des paysan·nes et la revalorisation de leur rôle dans la société.

[11Les exploitations agricoles étaient au nombre de 490 000 en France en 2010, elles sont 398 000 en 2020. Dans le même temps, leur surface est passée en moyenne de 55 à 69 hectares. Recensement agricole, 2021.