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La précarité alimentaire, oubliée du projet de loi finances

À InPACT, nous sommes conscients que la précarité des consommateurs fait écho à celle des producteurs et met en exergue l’impasse de notre système alimentaire.
Alors que la lutte contre la précarité alimentaire fait l’objet d’une trop faible ambition dans le projet de loi de finances, nous appelons au financement d’expérimentations locales de sécurité sociale de l’alimentation.

L’échec du modèle agro-industriel à « nourrir le monde »

Loin de « nourrir le monde » le modèle agro-industriel s’avère incapable d’assurer un accès à une alimentation saine, durable et de qualité pour toutes et tous.

Dans notre pays, plus de 11 % des adultes sont en situation d’insécurité alimentaire. Ultra-dépendant aux énergies fossiles, nocif pour la biodiversité, dégradant les sols, l’eau, l’air et le climat, ce modèle présente un bilan désastreux. Incapable de faire vivre dignement les agriculteurs et les dépouillant de toute autonomie, il est responsable de la désertification de nos campagnes et de la disparition des paysans. Machine à produire des aliments ultra-transformés, ce modèle agro-industriel accompagne la multiplication de maladies chroniques telles que l’obésité ou certains diabètes.

Conséquence directe de ce modèle, la course aux bas prix imposée par la grande distribution ne rend pas accessible une alimentation durable. En effet, des prix bas signifient une mauvaise rémunération de tous les travailleurs de la chaîne alimentaire. Surtout, ces prix bas n’en sont en réalité pas : les coûts écologiques et les coûts pour la santé sont énormes, mais mis sous le tapis.

Ce modèle agro-industriel qui détruit la planète, la paysannerie et la santé de nos concitoyens n’a rien de naturel. Il n’a pu émerger que par un soutien massif depuis l’après-guerre et plus encore depuis les années 1990 de politiques publiques et notamment celles de la PAC. Ces politiques publiques doivent aujourd’hui être ré-orientées dans le but de garantir à toutes et tous un droit à une alimentation durable et de qualité.

Sortir de l’aide alimentaire, prothèse du modèle agro-industriel

Nos structures issues de l’agriculture paysanne affirment que chacun doit pouvoir accéder durablement à une alimentation choisie en connaissance de cause. Nous considérons que le modèle de l’aide alimentaire doit être réservé aux situations d’urgence et ne peut s’instituer.

L’aide alimentaire distributive n’offre pas un accès digne à l’alimentation. Dans la plupart des cas, l’aide alimentaire ne permet pas de choisir son alimentation : on mange ce qu’on nous distribue en dépit des goûts, pratiques et préférences de chacun. Par ailleurs, le « don » unilatéral, le fait d’être aidé, assisté pour se nourrir sans possibilité de donner en retour peut être vécu violemment. Enfin, l’aide alimentaire s’avère stigmatisante : on se retrouve dans des files de « pauvres » à devoir prouver être « suffisamment pauvre » pour en « bénéficier ».

L’aide alimentaire n’est pas durable puisqu’elle repose sur un système agro-industriel de surproduction. La loi Garot a pour effet pervers de lier la lutte contre la précarité alimentaire et la lutte contre le gaspillage alimentaire en permettant à la grande distribution de défiscaliser ses invendus. Condamnée à s’approvisionner majoritairement avec les restes de l’agro-industrie, l’aide alimentaire ne permet pas un accès à une alimentation diversifiée, saine et de qualité.

Nos structures rappellent que chaque paysan et paysanne doit pouvoir vivre dignement de son métier. L’aide alimentaire basée sur le don de leur production ne permet pas de pouvoir rémunérer justement leur travail.

Pensée comme temporaire, l’aide alimentaire perdure depuis de trop nombreuses années et le nombre de personnes qui en dépend s’accroît. Ainsi, l’aide alimentaire atteint ses limites et la nécessité de changer de paradigme se fait plus urgente que jamais.

Mettre en place une démocratie alimentaire

Nos organisations professionnelles rassemblent des paysans et leurs concitoyens cherchant à rendre l’alimentation accessible à tout le monde. Nous affirmons que pour que le travail des uns soit rémunéré et que les autres soient nourris, il faut sortir l’alimentation du « marché ». Le marché ne peut pas décider de ce que nous mangeons. Nous devons le faire collectivement et, en connaissance de cause, choisir les moyens de la production. Il s’agit de reprendre la main sur notre alimentation et les moyens de sa production. Notre objectif est le retour de la démocratie dans nos assiettes et nos fermes afin que cesse cette précarité grandissante que certains de leur côté veulent rendre durable en pérennisant le chèque alimentaire.

Le projet de Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) permet de progresser vers un tel horizon. Il s’agit d’intégrer l’alimentation au régime général de Sécurité sociale en respectant trois piliers : l’universalité de l’accès, le financement par la cotisation, le conventionnement démocratique en connaissance de cause des lieux de production, de transformation et de distribution. Comme la carte vitale permettant de réaliser des dépenses de santé, la sécurité sociale de l’alimentation permettrait de distribuer, chaque mois, à tous les citoyens une somme leur permettant d’acheter des produits alimentaires conventionnés. S’il existe d’autres « solutions », nous affirmons que seules des propositions d’ordre structurel comme celle-ci permettront de vaincre la précarité agricole et alimentaire et de ne pas s’en accommoder.

Dans ce sens, nous appelons les parlementaires à inscrire dans les projets de loi de finances, le financement d’expérimentations locales de SSA et d’initiatives d’accès digne à une alimentation de qualité, durable et choisie.

Signataires : Les structures membres du collectif InPACT

Aurélien Leray, président du Réseau Civam
Geneviève Bernard, présidente de la Fédération Terre de Liens
Gilbert Julian, co-président de Solidarité Paysans
Emma Beaudoin, secrétaire nationale du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC)
Élisabeth Carbone, administratrice du Mouvement interrégional des AMAP (Miramap)
Marie-Océane Fékaïri, directrice de l’Atelier paysan
Jacques Godard, co-président de SOL, Alternatives agroécologiques et solidaires
Paul Reder, co-président de la Fédération associative pour le développement de l’emploi agricole et rural (Fadear)
Édith Bonnet, administratrice de la Fédération nationale Accueil paysan.

Crédit photo : Stéphane Damour, CC BY-NC-ND 2.0.