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L’agriculture dans le capitalisme contemporain
Avec Matthieu Ansaloni, le 30 novembre 2021
Les exploitations agricoles française ne cessent de s’agrandir. Matthieu Ansaloni et Andy Smith, dans leur ouvrage L’Expropriation de l’agriculture française, vont chercher l’explication de cette tendance dans le rapport étroit entre agriculture et capitalisme, analysant les mécanismes et les acteurs de cette transformation. L’accumulation du capital économique par une minorité et l’expropriation de la majorité éclaircissent les rangs des agriculteurs, groupe social très inégalitaire dont les membres les moins bien capitalisés sont menacés de disparition. Ce mouvement est porté par le syndicalisme agricole dominant, les entreprises alimentaires mais aussi la haute fonction publique, les cabinets ministériels et les partis politiques. En comprenant mieux ce que les auteurs appellent « l’expropriation de l’agriculture », nous nous mettrons en capacité de mieux lutter contre elle. La rencontre était animée par Fabrice Bugnot de Transrural Initiatives.
Présentation de l’intervenant
Matthieu Ansaloni est post-doctorant à l’INRAE de Toulouse et chercheur au Laboratoire des sciences sociales du politique de Sciences-po Toulouse.
Chercheur pendant de nombreuses années, travaille aujourd’hui pour le service de remplacement du Lot-et-Garonne avant de s’installer. Ancien stagiaire au Pôle InPact de Bretagne et salarié agricole dans une ferme en bovins. Livre rédigé avec un chercheur bordelais, Andy Smith.
Rétrécissement du modèle agricole français. Travail scientifique qui tient à la sociologie (de Pierre Bourdieu), l’économie (de la régulation) et la science politique. Constat : des exploitations de plus en plus grandes, une concentration du capital économique. Quels sont les mécanismes de cette accumulation et quels en sont les agents ? Travail engagé également, dans le choix des sujets. Il vient objectiver certaines des prises de positions du réseau InPact.
Intervention
Le taux d’endettement des exploitations ne cesse de croître. Accumulation et expropriation sont les deux faces de la médaille : beaucoup d’agri sont dépossédés de leurs moyens d’agir, politiquement et économiquement. Les champs agricole, administratif, économique (commerce) sont étudiés.
Cette dynamique d’accumulation a sa source dans le modèle agricole dit fordiste choisi en France : l’agriculteur est producteur spécialisé de matières premières standardisées. La dépendance aux entreprises de négoce a été accru, elles-mêmes étant toujours plus grandes et suite au démantèlement de la régulation des prix dans les années 1990. Les aides de la Pac sont en outre allouées en fonction du capital économique (+ grande la surface ou le cheptel, + importantes les aides).
Quels sont les acteurs ? Des agents dans le monde agricole, dans le monde politique et dans l’administration.
Sommaire du livre
1-Modèle de développement agricole d’après guerre :
Une histoire de la modernisation de l’agriculture au prisme de l’accumulation du capital
2-Régime d’accumulation contemporain :
Transformation des rapports de commercialisation suite à la libéralisation des prix
Contribution de l’État français à la libéralisation : des prix, de la structuration des négociants, etc.
Résultat, une dépendance accrue aux négociants, la valeur échappe aux agri et est captée par les négociants (dont coopératives), exploitation du travail agricole (les prix commencent à être inférieurs aux coûts de production)
Modes de commercialisation alternatifs (AOP, circuits courts) qui restent sous la domination des rapports dominants (ex des prix qui sont les mêmes) et légitiment le modèle classique
3-Allocation des aides publiques :
Aides au revenu, à l’installation
Les aides directes de la Pac deviennent déterminantes dans le revenu agricole (100 % du résultat économique). Politique de prix bas
Distribution inégale des crédits publics en agriculture. « Le capital génère le capital » (Marx)
Gouvernements PS dans les années 1980 mais politiques publiques qui accompagnent la croissance des inégalités, récompensent les agri qui ont des pratiques techniques intéressantes mais savent capter les terres de leurs voisins. Quelle légitimité démocratique pour une telle situation ?
4-Qui sont les acteurs, leurs ressources, leurs parcours ?
Dirigeant·es FNSEA, fonctionnaires issus des grands corps agricoles
Quelles sont leurs ressources ?
Organisation du déclassement du monde agricole au profit d’une élite économique (Pacte politique 2025 avec Coop de France, FNSEA et Ania qui justifie cela par la perte de compétitivité et la trop faible taille des exploitations françaises).
Porosité des frontières entre administration et agriculteurs. L’État a tendance a déléguer la définition des politique à certains intérêts privés.
Les rapports de force sont en France sont déterminants.
DGPE (politiques économiques) au ministère, gère les budgets Pac. 80 % d’hommes, issus de l’Igref, certains se retrouvent dans les offices agricoles (France AgriMer, etc.) puis parfois dans le privé. Étude de parcours de hauts fonctionnaires et des offices agricoles (établissements publics avec pouvoir réglementaire, confiés à des intérêts privés).
Quoi tirer de cette démonstration ? Quoi préconiser pour faire advenir une autre agriculture, avec des travailleurs/ses épanouies et nombreux, qui offre une alimentation de qualité en respectant le milieu ?
Demander le démantèlement des mesures qui génèrent accumulation et exploitation (aide, installation, prix).
Revendiquer des prix d’achat à la hausse régulés par l’État (prix minimum d’entrée, prix régulés).
Paiements alloués par travailleurs.
Politique d’installation inclusive, sans critères DJA (défaut de reconnaissance de l’expérience).
Re-territorialisation de la production agricole : inciter à la prod pour conso locale, par exemple à travers les politiques d’installation.
Révision de la politique d’enseignement agricole et diffusion d’une agriculture plus économe, plus autonome, moins spécialisée (casser la séparation entre prod végétale ou animale).
Comment obtenir de telles avancées ?
Prolongement des revendications d’organisations historiques (Paysans travailleurs).
On voit qui fait la politique agricole et pour qui. Changer les règles électorales en chambres d’agri, proposer l’ouverture de nouveaux collèges, demander la proportionnelle, détruire la légitimité du modèle agricole (faible efficacité économique en comparaison avec d’autres pays, coûts sociaux et environnementaux élevés), refuser le monopole de représentativité des dirigeants.
Militantisme de terrain, ce que l’Atelier paysan appelle l’éducation populaire.
Nouer des alliances au-delà du monde agricole (c’est le cas d’InPact) pour ouvrir des débats publics (normal que nos impôts subventionnent les exportations de Lactalis vers la Chine ?) et attirer à nous d’autres soutiens.
Action directe (à la mode situationniste) sur le fonctionnement du monde agricole et les budgets publics.
Débat
Animé par Fabrice Bugnot, Transrural Initiatives
Fabrice : Originalité de l’approche sur les acteurs de ces politiques. Peux-tu citer des exemples et en quoi ces personnes sont peu représentatives des agri ?
Matthieu : On a contacté la FNSEA pour avoir la composition de leurs CA depuis les années 1970. Pas de réponse, on n’a travaillé sur sur les bureaux, données publiques. Au sommet de la FNSEA, un personnel très stable, qui vient des organismes spécialisés (FNB, céréaliers, etc.). Exemple de Philippe Pinta ou de Xavier Belin, président de la fédé des oléagineux et d’une entreprise de négoce, ne tire pas son succès de sa position agricole mais à la périphérie (négoce). Intérêt aussi pour la place des cultivateurs (céréales), non par leur nombre mais par leurs ressources (transferts financiers des grandes cultures vers l’élevage).
Étude des cabinets des ministres. À droite, des juristes, administrateurs, qui suivent les hommes politiques pendant toute leur carrière. A gauche, des fonctionnaires plus techniques (agronomes), jusqu’à la mandature de Le Foll des enseignants et des chercheurs également. Depuis, très technocratique. Mais tous reproduisent le rapport de forces existant. À droite, cajolent la manne électorale des agri. À gauche, très techno.
Matthieu : Ma méthodologie, des travaux d’enquête menés séparément sur la PAC, les AOC, les mesures environnementales, etc. Sur le régime d’accumulation, utilisation de données statistiques « dures » et production de données prosopographiques (méthode historique d’étude de portraits singuliers pris en masse pour dégager des tendances). Des méthodes classiques, qui ne font pas débat.
Matthieu : La politique agricole française est au service de l’aval. Une solution : que les crédits publics servent à transformer l’offre agricole et que les aides servent à favoriser une alimentation de qualité. La prod alimentation classiques (produits agri spécialisés) ne tient que par les aides publiques. On a les moyens de demander un changement d’agriculture. Andy Smith a travaillé sur les politiques européennes. Les réformes du début des années 1990 ont été impulsées par la France, par des classes sociales dominantes françaises. Mais on la retrouve dans d’autres pays d’Europe. Même s’il n’y a pas de fatalité : deux fois plus d’agri en Italie, avec des fermes de taille deux fois plus petites. La Hollande a au contraire un système très concentré qui sert de modèle. C’est un choix de société à faire entre les deux.
Matthieu : L’État français n’a jamais fait de zèle dans la redistribution des budgets européens. Le Foll a tenté de le faire mais cela a été arrêté par une mauvaise récolte. En 1992, la Commission européenne avait proposé des critères sociaux pour les aides mais le ministère français avait refusé. Les inégalités de distribution des aides sont reproduites de réforme en réforme.
Fabrice : Le plan stratégique national français de la PAC montre que les États ont la main sur des budgets (éco-régimes) mais la France pousse au niveau européen contre une PAC redistributive.
Matthieu : Pour rendre l’agriculture française plus « compétitive » comme cela est clamé et la concentrer, il faut concentrer les aides. Par exemple : une DJA pour deux installations. Les critères ne changent pas car ils contribuent au statu quo. Même si des collectivités territoriales demandent cette révision. Les règles européennes permettraient une PAC un peu plus redistributives mais ce acteurs en France ont à cœur de les concentrer. La France ne souhaite pas aider à installer autant d’agri. Je souhaite m’installer en Bretagne mais je ne peux y bénéficier d’aucune aide. Ce n’est pas un hasard.
Matthieu : Les conseils régionaux ont vu leurs prérogatives augmenter et elles ont des politiques plus favorables à nos idées. Certains succès ont été obtenus avec eux. Ils peuvent être de bons partenaires quand le travail de plaidoyer est de qualité (ce qui est le cas des travaux d’InPact). Les arguments de l’emploi, de la protection de l’environnement sont convaincants. Il faut aller dans ce sens-là.
Matthieu : On pourrait réfléchir à d’autres modèles économiques, se demander comment étaient approvisionnées les villes avant la concentration de l’industrie alimentaire. Ou le modèle des fruitières. Créer des coopératives avec des outils de transformation approvisionnés par quelques agri. Regrouper des moyens de production. Il y a un effort d’imagination à faire.
Je crois en l’action locale et associative. Il y a des luttes qui ont abouti, qui produisent des résultats positifs. Même si ça demande de l’énergie, il faut lutter sur deux fronts, le plaidoyer politique et l’action associative qui exploite les marges de manœuvre disponibles. Je suis admiratif de ces combats menés. Il y a quelques aides acquises, grâce à des pionniers.